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mardi 3 octobre 2023

Suzanne Léonie AUDON de SAUJON

BONJOUR,

Dans cette belle ville de ROYAN, ce 18 mars 1894, vient de mourir la jeune Suzanne Léonie AUDON. 


Suzanne n'a que 20 ans et 7 mois. Elle est fraîchement mariée du 15 Novembre 1893, en Grande Bretagne, à Bernard William WHITTINGHAM d'où son cher époux est originaire. 
 
Bernard William WHITTINGHAM, âgé de 21 ans, est le fils d'un militaire de carrière, Général, installé depuis environ 8 ans dans la station balnéaire charentaise. Il est décrit comme un jeune homme hardi, indiscret et imprudent. Il n'a aucune formation spécifique en navigation et occupera cependant le poste de 4ème officier sur un navire marchand (à l'occasion)...


En effet, il reçoit de son père, une somme substantielle pour vivre et jouir de la vie le plus largement possible. C'est ce que l'on pourrait appeler un rentier....si il n'avait pas fait la stupide erreur d'aller s'enticher d'une française sans noblesse -sinon celle du coeur- et de l'épouser en ce mois de novembre 1893, sans l'accord de ce père si intransigeant qu'à la suite de cette union, M. WHITTINGHAM père a fait savoir, par voie de presse qu'il ne financerait plus les dépenses de son fils et de sa prétendue épouse. 

La famille AUDON n'était guère plus heureuse de cette alliance. Les parents avaient eu un mauvais pressentiment quant à cette union avec cet audacieux jeune homme blond aux yeux clairs qui avait fait la cour à leur fille, dès le mois de Juin 1893. 
Le père, Charles AUDON, était syndic des pilotes de l'embouchure de la Gironde. Suzanne, la cadette de la famille, se prépare à devenir institutrice. Quand en septembre 1893, une demande en mariage officielle leur fut faite, ils avaient été flattés de voir leur fille faire partie d'une si honorable famille.

Ce qu'ils ignoraient, c'est que la famille WHITTINGHAM ne l'entendait pas de la sorte ; elle voyait  cette union comme une mésalliance. Le général avait même menacé son fils mineur. S'il persistait dans cette voie, il serait déshérité et ne devrait plus compter sur son soutien financier. 
En FRANCE, impossible pour un mineur de se marier sans le consentement de ses parents. En ANGLETERRE, si !
C'est ainsi que Bernard, le fiancé, décide de s'unir en ANGLETERRE, le 15 Novembre 1893. La fiancée, chagrinée de voir son futur époux s'opposer ainsi à sa famille, est prête à revenir sur sa promesse, à lui rendre sa liberté et à entrer dans les ordres. Pour Bernard, il n'en est pas question. Il l'aime et la veut....Comme elle refuse d'être sa maîtresse, elle sera son épouse légitime. 

Le 15 Novembre 1893, le mariage est célébré, sans qu'aucun faire-part ne soit envoyé aux amis, sans qu'aucune photo des mariés ensemble ne soit prise, au grand dam des parents de la mariée. 

Quatre jours plus tard, le jeune couple est de retour sur SAINTES où ils ont trouvé un logement. La famille WHITTINGHAM a eu vent de ce mariage. Le général fulmine. Convoqué par son père, Bernard se rend chez ses parents à ROYAN. L'explication n'en est pas une. Le général met sa menace en place : il n'accepte pas la venue de cette épouse chez lui. Il refuse de couvrir les frais du couple ; il fait paraître dans la presse et sur les murs de la ville, sa décision.

Deux semaines plus tard, le jeune marié désormais conscient de sa situation fait une proposition très offensante à Suzanne : Se faire passer pour sa maîtresse plutôt que pour son épouse afin d'obtenir de son père des fonds pour poursuivre son existence.... d'enfant gâté. Suzanne n'accepte pas.
Furieux, il lui dit que son mariage est nul !
Choquée, Suzanne, désespérée menace de mettre fin à ses jours.
Cette solution finale semble bien plaire au jeune marié.  "Tu veux te tuer, tiens voilà un pistolet, Tire !"

Suzanne découvre chaque jour un peu plus le vrai caractère de celui qu'elle a épousé. Les disputes s'enchaînent. Elle avertit ses parents, demande de l'aide à sa mère.
Quelques jours plus tard, le couple revient à ROYAN. Suzanne, en larmes, ira chez ses parents. Lui, chez les siens. Bernard est désormais bien décidé à se débarrasser de cette conjointe pour recouvrer l'existence oisive qu'il a si vite abandonnée. 
Un mois s'écoule, la santé de Suzanne s'altère. C'est le Docteur ROUX qui informera Bernard que son épouse est malade. Il ne manquera pas de lui faire part de son avis personnel : 
"si j'étais le Père AUDON, je vous ferais sauter la cervelle. Des êtres comme vous, on s'en débarrasse."

En quelques jours, la rumeur enfle : "ils n'étaient pas mariés, il vient voir "sa femme" en douce la nuit, en rasant les murs."

Fin Décembre 1893, Suzanne et Bernard prennent le chemin de BORDEAUX. Elle y donnera des cours, lui enseignera l'anglais. Pour ce voyage, il a vendu son cheval. 
Le Général n'est pas dupe de ce manège. Dans un courrier à son fils, il le somme de quitter cette fille.
Mais Suzanne est enceinte. Ils vont avoir un enfant.
C'est une catastrophe pour Bernard. Il ne reste plus qu'à mettre fin à cette vie.
Le 6 janvier 1894, il réussit à convaincre sa jeune épouse de le suivre dans la mort. Il a fait l'acquisition d'un poële, il a allumé le feu, calfeutré les issues et se sont couchés. Suzanne n'a pas pu, elle s'est levée et a ouvert les fenêtres. Dommage, il espérait tant qu'elle s'asphyxierait avant lui.

Suzanne accepterait bien un divorce  mais lui serait contraint de répondre à ses obligations familiales à la naissance de l'enfant qu'elle porte.

Une fois encore, contraint de trouver de l'argent, il accepte un emploi sur un bateau. Il file à l'anglaise.
Il embarque à la fin du mois de janvier 1894. 
Trois semaines plus tard, le 18 février, Suzanne est de retour à ROYAN pour assister aux obsèques de son père, décédé des suites d'une bronchite....Elle, reste persuadée que c'est la situation maritale de sa fille qui l'a emporté. Quelques jours plus tôt, il avait déclaré à son épouse : "cet anglais va tuer ma fille"

Bernard WHITTINGHAM rentre de son escapade maritime un mois plus tard. Mais de retour au domicile conjugal, que Nenni !  Il reste à LONDRES pour y faire la fête et dépenser sa paye. Il en profite pour s'offrir une arme, une carabine et des cartouches.
Qu'a-t-il en tête ?
Le bruit a couru qu'il était de retour. Suzanne l'a appris. Elle n'est pas rassurée. Désormais, elle a peur de lui. Mais sa mère veille. Quand durant la nuit, il toque à la porte, c'est sa belle-mère qui lui répond. Elle sait tout de ses manigances pour déshonorer sa fille. Dehors !
Le jeune homme est un entêté. On ne lui dit pas NON. Il retentera sa chance la nuit suivante. Rien à faire.
Il reviendra en plein jour cette fois-ci. Mais si elle accepte de lui parler après avoir ouvert la porte, elle refuse de le suivre et sa belle-mère interviendra une nouvelle fois pour le sermonner. Il tentera même de lui faire croire qu'il a obtenu de son père de quoi faire vivre sa famille. La mère de Suzanne s'est renseignée et il n'en est rien. Le Général n'a pas changé d'opinion. Puisqu'on lui a confirmé que le mariage était bien légal, celui-ci va jusqu'à faire courir le bruit que si cette fille s'est mariée en ANGLETERRE c'est qu'elle y était forcée, insinuant que l'enfant qu'elle porte n'est pas celui de son fils. Il est même prêt à faire paraître un avis dans la Presse, en ce sens.

Le 18 mars 1894, Bernard, se fait conduire chez "son épouse" qui s'est rendue à la messe des Rameaux avec sa mère et sa soeur. C'est donc en leur absence, qu'il s'installe avec arme et bagages. Il a même pensé à lui faire cadeau d'un chiot. 
Surprise, émue, c'est avec joie qu'elle accepte les excuses de cet époux inconstant, variant, qui l'a abandonnée, sans ressources.
Ce n'est pas le cas de sa belle-mère.  Madame AUDON réclame des précisions sur leur futur commun. Elle est vertement envoyée au diable et priée de quitter leur chambre.
En proie à une vive émotion, elle quitte la maison pour se rendre chez son notaire qui lui suggère une attitude plus calme. Elle retourne chez elle et sous un prétexte futile, elle entre dans la chambre de sa fille qu'elle trouve sur les genoux de son époux. Elle s'en retourne vaquer à ses occupations jusqu'au moment où...
Un bruit sourd retentit. Bernard WHITTINGHAM, pâle, de la sueur sur le front, sort de la chambre qu'il occupe avec son épouse en criant : "je viens de blesser Suzanne""il lui faut un médecin"

Madame AUDON monte en courant l'escalier qui la mène à la chambre où sa fille, assise dans son fauteuil, face à la fenêtre, la tête légèrement inclinée les mains sur les genoux, est là, ne répondant plus à ses appels, ses cris. Un filet de sang coule le long de sa joue. Elle est morte....Elle et son enfant sont morts.

Les gendarmes arrivent au 40 Rue Forsillon. Les médecins sont là, ils examinent la scène et le corps.
Bernard WHITTINGHAM, le veuf, est entendu de manière très officielle. Il soutient la version d'un accident. Suzanne aurait demandé à connaître le mécanisme des armes que son mari a rapportées avec lui. Le coup serait parti alors qu'il cherchait à retirer une cartouche.  Le fusil part donc à l'examen au service d'artillerie.
Une reconstitution a lieu. Il est mis en évidence que les propos du mari sont faux. La jeune femme -qui avait horreur des armes à feu- ne pouvait suivre la démonstration de son époux de là où elle se trouvait. On apprend très vite que l'arme ne présente aucune anomalie et que pour déclencher le tir d'une balle, il faut une "très très grosse maladresse" ; le tir d'ailleurs n'aurait pas atteint la jeune femme de haut en bas, mais de bas en haut.

Bernard WHITTINGHAM est en panique. Il se reprend, revient sur ses propos, tente une autre version.

Il est mis en accusation, poursuivi pour meurtre avec intention de donner la mort.

Le procès se tient en Août. Des témoignages viennent donner des informations sur le comportement du fils WHITTINGHAM : enfant cruel il a pendu un chat et tiré sur un second.  Particulièrement maladroit, il a tiré sur une dizaine de personnes lors d'un tir au pigeon en 1892. D'autres viennent dire qu'il est "toc-toc", déséquilibré, Un matelot vient raconter que cet "excentrique" était plus téméraire que brave, ne prenant aucune précaution ni pour l'équipage, ni pour le matériel qu'il manipulait sans précaution mettant en péril tout le monde.

La famille WHITTINGHAM est absente durant ces deux jours de procès. Le procureur aura malgré cela des propos très durs envers le Général : "Vous avez pu être un brave soldat, un gentleman correct, irréprochable, vous n'avez jamais eu cette qualité si française qui s'appelle la bonté !...."

Les différents professionnels exposent leurs conclusions. Ce n'était pas un accident.

Les avocats de la Défense soutiendront la thèse inverse insistant également que la responsabilité est à partager avec le Général particulièrement autoritaire en ce qui concerne "ce malheureux accident".

Les Jurés votent pour une condamnation à 20 ans de Travaux Forcés. 


Suzanne AUDON était née à SAUJON, le 10 Août 1873 à SAUJON (Charente Maritime)






Bonne Lecture,

Évelyne LUCAS