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L'Histoire singulière d'aujourd'hui se situe en Charente-Inférieure (Charente Maritime) à DOLUS.
Elle fait partie des nombreuses Grandes Affaires criminelles de Charente-Maritime relatées par Aline BERNARD.
En Janvier 1903, Pierre GRAS, domicilié au Breuil, vient s'enquérir d'une place ; pour cela, il n'hésite pas à dire qu'il vient de la part de sa mère : Victorine MOUNIER, que le sieur BERTHELOT a bien connue. Pierre GRAS est engagé avec de bons appointements et l'avantage du coucher et du repas.
Pierre GRAS dit Julien, est né à Moëze, le 3 Novembre 1880 (2 H du matin) sous le signe du SCORPION.
Sa physionomie est dure, le front est bas, le visage est anguleux, brun, son regard est fuyant, il est imberbe. telle est la description qui est faite de lui à l'âge de 23 ans. "sournois, jaloux, très intéressé, peu travailleur, ..."Il a fait ses études à MARENNES puis est revenu au domicile familial, aider son père jusqu'à ce qu'il fasse un bref passage (3 mois) en tant que domestique chez le Sieur JOUINAUD.
C'était peu avant son engagement militaire à ROCHEFORT pour 3 ans dans les Colonies ; À cette époque un problème grave chinois a obligé la FRANCE à intervenir, il aurait ainsi participé à ces mouvements hostiles envers les continentaux.
Durant cette période, ses parents se sont séparés. Son père devenu irritable, brutal voire violent avec sa mère et ne bénéficiant plus de la plénitude de ses facultés mentales a du être soigné. Il décède avant la fin de l'enrôlement de son fils que les autorités libèrent pour assister sa mère.
Il trouvera une place dans une usine de St GABAIN mais deux mois plus tard, il tombe malade.
Rétabli, il occupera un emploi de domestique à SAUZELLE et dans le même temps, dès octobre 1901, il fréquente la jeune Constance NADEAU de St Georges ; les jeunes gens semblent bien s'entendre.
En Mai 1902, Pierre GRAS est à St Gilles, chez le Sieur ROBERT, mais quelques mois plus tard, il prend conscience que ce n'est pas ce genre de vie qu'il veut.
Il veut gagner plus ! plus de 15 francs par mois.
Il veut changer de vie !
Et ça commence par ....rompre avec Constance qu'il laisse un beau jour, sans autre explication, après 18 mois de flirt.
Il laisse également son poste chez le Sieur ROBERT et part vers St GILLES où il trouve un emploi chez Louis Alfred BERTHELOT à DOLUS.
Il commence début janvier 1903. M. et Mme BERTHELOT sont travailleurs et économes ; ils rémunèrent bien leur personnel. Et ils sont les parents d'une jeune fille de 18 ans, Élise, qu'il va vite rencontrer puisqu'elle tient la maison de ses parents quand ceux-ci partent à leurs activités (huîtres, champs et vignes).
Élise est gentille, charmante et a un jeune prétendant : Émile MÉNAGÉ qu'elle voit le Dimanche quand Pierre va rendre visite à sa mère.
Très vite, tombé sous son charme, Pierre GRAS va faire la cour à la jeune Élise ce qui va, au bout de quelques temps, gêner la jeune fille d'autant que Pierre GRAS se montre désagréable avec son entourage ou même préfère s'isoler dans sa chambre, se privant d'un repas, quand Émile MÉNAGÉ vient rendre visite à la jeune fille. La situation tendue déplaît tant à Élise, que durant l'été 1903, elle écrit une lettre de rupture à Émile -avec de faux prétextes-.
À cette période là, elle s'aperçoit que Pierre GRAS a fait l'acquisition d'une arme et de munitions. C'est selon lui, pour se défendre. Mais, Élise voit cette initiative avec une grande inquiétude d'autant qu'il ne cesse de la harceler, de lui demander de l'épouser...ce qu'elle ne souhaite pas. Elle profite d'avoir l'entretien de la chambre à faire, pour en l'absence du jeune homme, se saisir de l'objet et des munitions qu'elle cache dans un tout autre endroit.
Voilà déjà deux mois qu'Émile MÉNAGÉ n'a plus le loisir de voir Élise mais son coeur bat encore pour elle. Il demande à être reçu par le couple BERTHELOT afin d'obtenir leur accord pour que la jeune fille l'accompagne à une fête qui se tiendra deux semaines plus tard....un mariage prévu pour le 20 octobre. Les parents d'Élise accèdent à la demande de l'ex-petit-ami et celui-ci prend congé au moment où Élise rentre du bal (elle y est allée avec des amies). Pierre GRAS qui la suivait aperçoit Émile vers qui, la jeune fille, se dirige et ça a le don de le mettre en fureur. Il quitte les lieux et entre dans sa chambre.
C'est là qu'il s'aperçoit que son arme a disparu, c'est ainsi que la mère d'Élise apprend qu'il possède une arme et que son mari prend conscience de la jalousie maladive du jeune homme. M. BERTHELOT s'assurera du départ d'Émile MÉNAGÉ afin qu'il ne soit pas pris à parti dans un trio amoureux.
Le lendemain, Pierre GRAS exige d'Élise qu'elle lui rende son arme. Elle cédera mais ne lui restituera pas les munitions. Qu'importe....! Pierre en a caché d'autres dans un tiroir qu'elle n'a pas fouillé.
Pierre GRAS souhaiterait obliger la jeune fille à l'épouser. Il va jusqu'à faire intervenir sa propre mère, Victorine MOUNIER, qui rendra visite aux parents qu'elle connaît. Ces derniers la recevront et s'entretiendront avec elle et son fils mais ils n'ont nullement l'intention d'intervenir de force dans la vie amoureuse de leur fille qu'ils estiment fort jeune. Ils la voudraient heureuse et libre de ses choix. Pierre GRAS est déçu de cette réponse.
Quelques semaines plus tard, après de nouveaux refus d'Élise, à ses demandes de mariage, il prend la décision de quitter les lieux. Plusieurs déjà ont remarqué dans les conversations qu'ils ont eu avec Pierre de très mauvais présages tant ses propos étaient durs, méchants. Le 29 janvier 1904 Pierre rompt son contrat ; M BERTHELOT n'osera pas faire de retenue sur ses gages après les propos menaçants de son employé. Mais Surprise, deux jours plus tard, Pierre vient lui demander de le reprendre. Élise qui se croyait libre est profondément désenchantée.
Le dimanche suivant, Élise se prépare pour se rendre au théâtre alors que Pierre va au bal. Il surprend tout le monde en annonçant que c'est son dernier Dimanche, que c'est son dernier bal, qu'il leur dit adieu.
Le lundi 1er février, il refuse d'accompagner ses patrons à la pêche sous des prétextes d'ordre personnel. Il est 11 h 30, après avoir traversé la buanderie, la cour, il rejoint dans la cuisine Élise qui est là, près de la cheminée, affairée à des travaux de couture. Mais elle n'a nullement l'intention d'entretenir la conversation avec Pierre. Leurs derniers échanges avaient été très vifs et pour elle : "tout est fini entre eux". C'est à ce moment là que Pierre sort son pistolet et tire dans sa direction. Une balle l'a atteinte mais elle se lève d'un bond et se dirige vers lui qui la repousse brutalement. Il lutte un temps. Deux de ses peignes tombent au sol. Pierre GRAS tire encore 3 coups ; un seul atteindra une nouvelle fois Élise. Elle s'affale sur lui qui l'entraîne vers la table où se trouve un couteau. Il réussit à ouvrir un tiroir, à se saisir d'un couteau à la lame effilée et lui en assène un coup sous le sein. Élise s'effondre sur le sol. Pierre GRAS sort de la maison par la porte de derrière, en direction de la mare dans laquelle il jette l'arme. Puis il empreinte un passage communiquant au jardin des BENOIST où il se débarrasse de son pistolet en le jetant dans la fontaine et prend la route.
Élise qui n'est pas morte, s'est traînée jusqu'au seuil de la maison, elle crie. Alexis AUGER et Ulysse MOGEY qui passent non loin ont entendu ses appels à l'aide. D'autres voisins appelé viennent à leur rescousse. On soulève la jeune fille, on l'assoit sur une chaise. Elle saigne beaucoup. Le médecin-maire prévenu alors qu'il déjeunait est arrivé dans un délai très bref mais quand il arrive, il ne peut que constater l'étendue du malheur. Élise est décédée. Ils l'installent sur un lit. Le maire (abandonnant son rôle de médecin) prévient les autorités.
Pierre GRAS est installé au bistrot où il passe commande pour déjeuner. Auparavant, il est passé voir Théophile ARRIVÉ à qui il a donné rendez-vous après le repas.
À son arrivée, il lui demande conseil : "J'ai un ami qui a donné un coup de revolver à un homme cette nuit. Comment doit-il faire pour se dénoncer ? "
Bien qu'abasourdi par la question, il lui répond que le revolver est une arme prohibée et que cet ami doit se rendre à la mairie ou chez les gendarmes. Vient ensuite le motif de la querelle : est-ce de la légitime défense ? La personne est-elle blessée ?
-"et si, elle est morte ?"
Les deux hommes se séparent bientôt sans que Théophile ait pu répondre à cette dernière question. Théophile comprendra très vite à qui faisait allusion son compagnon. La nouvelle de la mort d'Élise s'est propagée dans le bourg. Il s'apprête à se rendre à la Gendarmerie dénoncer Pierre GRAS quand il aperçoit celui-ci sur le seuil dudit bâtiment. Il comprend dès lors qu'il va se constituer prisonnier. L'enquête va débuter très vite. Pierre GRAS est écroué le 12 Août 1904.
Quatre mois plus tard, à l'ouverture du procès, Pierre GRAS dit Julien est reconnu responsable de ses actes, n'étant atteint d'aucune tare, ne présentant aucun symptôme de folie, de démence, de délire, d'absences... C'est donc dans ces conditions que le portrait du prévenu est tracé : "sournois, jaloux, très intéressé, peu travailleur, ..."
Le procès dure deux jours au bout desquels le verdict tombe : reconnu coupable du crime d'assassinat avec préméditation sans admission de circonstances atténuantes, il est condamné à la peine capitale et que celle-ci ait lieu à SAINTES. Il est raccompagné à sa cellule en larmes, encadré par les forces de l'Ordre et suivi par une foule de personnes.
Le pourvoi est rejeté le 23 Juin.
Le 26 juillet 1904, la peine est commuée en Travaux Forcés à perpétuité,
Le condamné embarque sur le Loire, en décembre de la même année, en direction de la Guyane.
(https://portrait-culture-justice.com/2022/12/arrivee-de-bagnards-en-guyane.html)
L'année suivante, en septembre 1905, il tentera de s'évader ce qui lui vaudra deux années de double chaîne.
cette peine de réclusion à perpétuité fut réduite à 20 ans de T.F. -en 1916- après 3 demandes consécutives....peine acceptée finalement qui sera réduite encore d'une année, suite à différents (9) recours.
Après avoir obtenu une semi liberté sur l'île en 1935, Pierre GRAS dit Julien meurt le 3 octobre 1936, à St LAURENT de MARONI.
Bonne Lecture,
Évelyne LUCAS
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